22 setembro 2009

Le voyage de l'éléphant


Pour incongru que cela puisse sembler à qui ne serait pas conscient de l’importance des alcôves, qu’elles soient sacralisées, laïques ou illégitimes, pour le bon fonctionnement des administrations publiques, le premier pas de l’extraordinaire voyage d’un éléphant vers l’Autriche que nous nous proposons de relater eut lieu dans les appartements royaux de la cour portugaise, plus ou moins à l’heure d’aller au lit. Précisons d’ores et déjà que l’emploi de ces vocables imprécis, plus ou moins, n’est pas l’œuvre d’un simple hasard. Nous nous dispensons ainsi, avec une élégance digne d’être mise en exergue, d’entrer dans des détails de nature physique et physiologique quelque peu sordides et presque toujours ridicules, qui, jetés pêle‑mêle sur le papier, offenseraient le catholicisme très strict de Dom João III, roi de Portugal et des Algarve, et de Dona Catarina d’Autriche, son épouse et future grand‑mère de ce Dom Sebastião qui ira combattre à Ksar el‑Kébir et y mourra au premier assaut, ou au second, encore qu’il ne manque pas de gens pour affirmer qu’il décéda de maladie à la veille de la bataille. Le sourcil froncé, voici ce que le roi commença par dire à la reine,
J’ai des doutes, madame,
À propos de quoi, sire,
À propos du cadeau que nous avons donné au cousin Maximilien lors de son mariage, il y a quatre ans, ce présent m’a toujours paru indigne de son lignage et de ses mérites, et maintenant que nous l’avons ici tout près, à Valladolid, en qualité de régent d’Espagne, pour ainsi dire à portée de main, j’aimerais lui offrir quelque chose de plus précieux, quelque chose de spectaculaire, qu’en pensez‑vous, Madame,
Une custode serait d’un bel effet, Sire, j’ai observé que peut‑être en raison de la vertu conjuguée de sa valeur matérielle et de sa signification spirituelle, une custode est toujours bien accueillie par la personne qui la reçoit,
Notre Sainte Eglise n’apprécierait pas pareille libéralité, sa mémoire infaillible n’a sûrement pas oublié la sympathie avouée du cousin Maximilien pour la réforme, des protestants luthériens, luthériens ou calvinistes, je n’ai jamais su au juste, Vade retro, satanas, je n’avais pas pensé à cela, s’exclama la reine en se signant, demain il me faudra aller à confesse dès potron‑minet,
Pourquoi demain plus particulièrement, Madame, puisque vous avez coutume de vous confesser tous les jours, demanda le roi,
À cause de l’idée abominable que l’ennemi m’a placée dans les cordes de la voix, figurez‑vous que je sens encore ma gorge toute brûlée comme si le souffle de l’enfer l’avait effleurée.
Habitué aux exagérations sensorielles de la reine, le roi haussa les épaules et revint à la tâche épineuse qu’était la recherche d’un présent susceptible de faire plaisir à l’archiduc Maximilien d’Autriche. La reine marmonnait une oraison, elle venait déjà d’en entamer une autre lorsque soudain elle s’interrompit et cria presque,
Nous avons Salomon,
Qui, demanda le roi, perplexe, qui ne comprenait pas cette invocation intempestive du roi de Judée,
Oui, Sire, Salomon, l’éléphant,
Et pourquoi aurais-je besoin ici de l’éléphant, demanda le roi, avec déjà une pointe d’exaspération,
Pour le cadeau, Sire, le cadeau de mariage, répondit la reine en se levant, euphorique, tout excitée,
Ce n’est pas un cadeau de mariage,
Peu importe. Le roi hocha lentement la tête trois fois de suite, fit une pause et effectua encore trois hochements au bout desquels il reconnut,
L’idée me semble intéressante…

José Saramago, Le Voyage de l’éléphant, Éditions du Seuil – 2009
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich

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